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Savoureux désir d’être inutile… le temps d’un week-end à Zuydcoote

Le Désir d’être inutile est un bien beau titre dégoté par Hugo Pratt pour un petit livre d’entretien de sa confection ; il saisit assez bien, à mon sens, l’esprit de Week-end à Zuydcoote, plus précisément de son personnage principal.

 

« – C'est beau, des longues jambes, dit-il, ça donne de la classe, je trouve. Ma femme avec ses longues jambes, elle a l'air d'un lys.

 Un lys n'a pas de jambes.

Je sais ce que je dis. Elle a l'air d'un lys, ma femme. »

Week-end à Zuydcoote, Robert Merle, 1949

 

Il s’agit là d’un Henri Verneuil apparemment des plus anodins (un de plus avec Jean-Paul Belmondo), adaptation d’un roman de Robert Merle qui a quand même reçu le Goncourt l’année de sa parution en 1949 (c’est d’ailleurs Merle qui écrit le dialogue). Si nous n’avions pas manqué de mettre en avant ce film au moment de la mort du réalisateur*, il manquait de notre part une attention plus particulière, plus précise… Pour tout dire, je crois que nos travaux, au Canard sauvage, avaient manqué de souligner à l’époque ce que nous apprend la singularité du traitement de la guerre dans ce film.

On y suit un Belmondo quelque peu désabusé et franchement hagard au milieu de la plage de Dunkerque, tribulations d’un Français sur les côtes de France, entre l’Anglais qui se fait la malle et l’Allemand qui prend ses quartiers. Rien de plus ennuyeux (pour rester poli) que cette affaire, pompeusement dénommée Dynamo, qui consiste à se mettre en rang sur cette morne plage pour espérer débarquer outre-Manche. Belmondo a ses compagnons : Pierre Mondy qui pense à sa femme, François Perrier franc camarade un peu lourdeau, et Jean-Pierre Marielle en curé, ce qui n’est pas sans saveur ; chacun a donc ses passions pas bien hautes, profitant comme il peut du délabrement général pour se planquer, pour trouver du vin, pour profiter des femmes.

Le talent de Verneuil est de ne pas surligner le tableau : des bassesses ordinaires, la lâcheté ordinaire des hommes. Dévoiler la mesquinerie de ces soldats sans présenter la moindre bataille à strictement parler, sans l’héroïsme donc, c’est effectuer une sorte de pas de côté pour mieux capter le sujet central de ce film, à savoir précisément la guerre. Week-end à Zuydcoote ne présente pas la guerre (et son éventuel grand spectacle) de face. On est là, coincé dans la poche de Dunkerque, dans la guerre et sans guerre : avouons-le tout net, il ne se passe pas grand-chose.

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Or justement, voilà mon point. Il y a peut-être deux bonnes manières de traiter de la guerre en art : ou bien on s’y plonge de tout son être (façon Jünger sous les orages d’acier) et on s’attache à restituer l’intuition d’un certain sentiment vital, du galop d’un cœur à l’affût, ou bien on la regarde de côté, comme le personnage campé par Belmondo dans ce film. Chez Jünger comme ici ce n’est donc pas l’action (au sens narratif) qui compte mais un certain goût – ici, trop salé – de la vie.

Il y a quelque chose de Corto Maltese dans ce héros, une désinvolture, un dégagement (semblable en ce sens à l'esprit positivement hors-engagement de notre publication !). Comme Corto aux travers de la Grande Guerre puis de la guerre civile russe (dans La Ballade de la mer salée ou En Sibérie), Belmondo n'est pas à proprement parler contre la guerre, mais il la traverse à l’oblique : il fend ces troupeaux mécaniques trop abasourdis pour se poser des question, et il se retrouve à aider ceux qu’il croise (une femme, en l’occurrence), à côtoyer la mort en atrabilaire… bref, c’est un gentil gars désœuvré qui ne demande qu’à ce qu’on lui fiche la paix, mais que les circonstances malmènent sans cesse, comme pour stimuler son dégoût. Cela génère chez le spectateur une complicité certaine avec ce gaillard : voilà un type simple, ni méchant ni tout à fait héroïque, seulement plus lucide que ses camarades – qui plus est la dégaine de Bébel, sa démarche nonchalante et sa gueule de bon copain, nez épaté, lèvres charnues, sont fichtrement sympathiques. Et voilà qu’on le suit dans ses péripéties, ses colères, ses faiblesses, non pas à cause de la richesse des événements, ni même par fascination, non..., simplement parce que ce bonhomme mérite qu’on fasse un bout de chemin avec lui.

C’est précisément grâce à cet étrange compagnonnage que Week-end à Zuydcoote est un excellent film sur la guerre, probablement parce que c’est un film français – sans criailleries, sans fanfares, ni sentimentalisme. Il y a là quelque chose d’infiniment plus homme qu’un gros-œuvre amerloque. Ce Week-end est même finalement assez proche de La 317e Section de Pierre Schoendoerffer, malgré la bouille mélancolique que ne cesse de promener Belmondo, et pour parler plus grossièrement, malgré son propos antimilitariste aux antipodes de la dimension d’hommage que constituent les films de Schoendoerffer. Certes, le Verneuil est bavard quand le Schoendoerffer embrasse les faits, l’un s’attache à la débandade quand l’autre met en scène les opérations, pourtant le dénuement terne de ces œuvres (qu’on soit en Normandie ou en Indochine), leur âpreté, suscitent – allez, citons Bergson – cette « sympathie par laquelle on se transporte à l’intérieur d’un objet pour coïncider avec ce qu’il a d’unique et par conséquent d’inexprimable » – en l’occurrence elles nous transportent dans la guerre, avec dignité et sans hyperbole, elles nous permettent d’estimer ces hommes, ces hommes de chair et de sang.

 

Hugues Hirsute

 

* On peut citer notamment « Verneuil casse sa pipe ! », article paru le 10.01.2002, et « ‘’Alain-Delon-acteur regrette la disparition d’un grand professionnel de la caméra quand Alain-Delon-réalisateur se voit contraint de reconnaître qu’il est désormais le seul à pouvoir réaliser de bons vieux polars du dimanche soir… avis aux scénaristes !’’, entretien avec une vedette endeuillée », paru le 17.01.2002.

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