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Archives Malbec : quand Alain Delon protestait dans les lignes du Canard sauvage contre l’abandon du « pantalon de golf » dans Tintin

Le Canard sauvage se permet de revenir sur l’étrange affaire du pantalon de Tintin, au risque évident de réveiller chez nombre de lecteurs l’amertume tenace d’une rancœur qui ne passe pas. Le bruit et la fureur suscités par le retrait du pantalon de golf dans l’adaptation de 1969 Tintin et le temple du soleil avait été à l’origine de notre entretien, en 1969, avec Alain Delon.

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Cigarette au bec et mine sombre, Alain Delon se faisait dans nos colonnes le défenseur farouche du bon goût en matière vestimentaire.

Le Canard sauvage : Alain Delon, vous avez tenu à protester contre ce que d’aucuns considèrent comme un détail de l’univers de Tintin, à savoir le pantalon qu’y porte son personnage principal. Pourquoi ce choix ?

Alain Delon : Avant toute chose, il faut dans cette affaire faire preuve de précision, de rigueur. On a parlé du « pantalon de golf » de Tintin, il serait plus propre du plus-fours anglais, c’est-à-dire ni plus ni moins que la tenue adaptée pour courir, sauter, que sais-je encore. Ce que je veux dire là, c’est la culotte de golf a toujours été portée hors des contextes strictement sportif, précisément, elle appelle l’aventure. Ce n’est pas par hasard que Tintin est vêtu ainsi. On veut aujourd’hui (et je crois que le problème est de la plus grande gravité) nous faire passer Tintin pour un jeune étudiant contemporain. Mais sérieusement, ne le trouvez-vous pas à l’étroit dans ce pantalon collant ?

Le Canard sauvage : On a aussi évoqué, à l’occasion de cette polémique, le nom de Léon Degrelle, le chef du parti belge Rex pendant la Seconde Guerre Mondiale. Celui-ci (toujours en vie, nous le rappelons) aurait selon la rumeur inspiré Hergé pour l’adoption de cet accoutrement, précisément parce qu’il affectionnait porter d’élégantes culottes de golf au quotidien. Autrement dit, se défaire de sa tenue traditionnelle, ce serait pour Tintin faire front contre le fascisme et se détacher des engagements passés de son auteur.

Alain Delon : Pour l’inspiration première, je ne peux pas dire. Mais que ce soit vrai ou non (et de telles affirmations méritent d’être étoffées, ou d’être considérées comme de purs ragots) je pense que le tissu est un peu léger pour considérer le plus-fours comme un vêtement fasciste. Je pense plutôt que les producteurs de ce film (qui sont en cela aux antipodes de Hergé) ont voulu faire de Tintin une sorte de Daniel Cohn-Bendit aventurier, au lieu de montrer que l’aventure, précisément, résidait dans quelque chose d’autre que les obsessions de la jeunesse d’aujourd’hui.

Le Canard sauvage : Pourtant, vous avez-vous-même porté le jean, dans Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil, où vous incarniez assez fidèlement la jeunesse d’aujourd’hui.

Alain Delon : On peut dire cela (rires). Mais je n’y vois pas de contradiction. Alain-Delon-acteur s’est vu proposer ce rôle… c’est d’ailleurs avant tout une confrontation et une coopération entre un jeune homme de notre temps, qu’il incarne, et un homme de l’ancien temps campé par Jean Gabin. Mon personnage ne vaut qu’en tant que miroir de celui de Jean Gabin. Quand un tel script arrive sur votre bureau, rédigé par Michel Audiard, dirigé par M. Verneuil dont le professionnalisme m’a toujours impressionné, en duo avec Jean Gabin… on ne le refuse pas.

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Le Canard sauvage : Ce qui nous éloigne de notre sujet !

Alain Delon : Précisément pas. Car ce qui peut faire un bon Tintin, c’est le vis-à-vis entre lui et nous, à cause de la forme même de la bande dessinée et ce qu’elle permet. Si mon fils Anthony voit demain Tintin et le temple du soleil, devant un héros qui ne manifeste pas le goût de l’aventure, une sorte d’adolescent attardé, pourquoi voulez-vous qu’il fasse quelque chose de sa vie ? Dans Mélodie en sous-sol il y a Jean Gabin pour élever la jeunesse...

Le Canard sauvage : D’après les informations que nous avons pu recueillir, Hergé lui-même (après avoir vu le dessin animé) réfléchirait, pour le prochain album, à donner à Tintin un jean semblable à celui de cette adaptation.

Alain Delon : Si tel est le cas, c’est un signe très grave donné aux jeunes. Vous savez, j’ai manifesté avec ma femme et mon fils… C’est une affaire qui nous concerne tous. Oui, je crois que si Hergé va jusque-là, le succès de Tintin va s’éteindre, et l’œuvre va immanquablement disparaître (à mon plus grand déplaisir).

Le Canard sauvage : Pour ne pas finir sur cette note pessimiste… Tintin ou Astérix ?

Alain Delon : Cette fois, on va s’écarter de notre sujet ! Je préfère Astérix parce qu’il y a cette figure du chef, sage et sûr, Panoramix, qui me fait assez penser à De Gaulle ou bien à Jean-Marie Le Pen (même si, vous me le ferez remarquer à bon droit, ce n'est pas la même génération)… On passe de la culotte à la toge, comme un niveau de plus. Et puis j’aime bien cet univers de forêts, de villages, c’est plus propice à la solitude que nos villes modernes, telles qu’on les voit dans Tintin.

 

Propos recueillis par Isidor Dîne

Commentaires

  • La cause delonienne est fort noble, nul n'en doute ! Elle n'est d'ailleurs pas tout à fait perdue. Il ne revient qu'à nous, à notre heure, d'en reprendre le flambeau et de défendre Tintin, tous les albums de Tintin, et avant tout ceux qui forgèrent sa légende, lorsque notre reporter s'égayait en pantalon de golf.
    En revanche, je tiens à manifester ici mon incommensurable indignation devant la fin de votre article. Je tiens Le Canard sauvage en haute estime, mais ici, je lis un canard laquais de la bien-pensance de la BD. Finir un écrit sur Tintin avec une apologie d'Astérix ! C'est absurde ! La langue de Delon a sans nul doute fourchée, et jamais le Canard n'eût dû lui poser cette question finale. Sans remettre en cause la qualité des aventures gauloises, il faut laisser à Tintin sa gloire immaculée.

  • Cher M. Berbac, je puis parfaitement comprendre le sens de votre indignation. Il m'est impossible de la partager, en raison tout particulièrement du difficile contexte de l'époque.
    En réalité, lorsque M. Delon (le meilleur acteur français à notre humble et très-sûr avis) décida de prendre part à une polémique nationale, Astérix était effectivement à son zénith. Comprenez bien, de 1961 à 1969, Goscinny & Uderzo avaient publié TREIZE albums, dont Cléopâtre, Le Tour de Gaulle, Les Bretons, Légionnaire et d'honorables dessins animés (mais pas encore Les Douze Travaux, qui resteront à l'évidence supérieurs à toutes les adaptations que l'on a pu faire de Tintin). Il restait encore à publier La Zizanie, Le Domaine des dieux, Astérix en Corse et Obélix et Compagnie (que nous nous escribons à défendre depuis une quarantaine d'années alors que les lobbys de la finance londonienne s'escriment à le dissimuler, cf. en 1976 : « Quand la City s’inquiète du cours du menhir »), et ce tout s'enchaînera dans une remarquable productivité. Tintin subissait au même moment, faut-il le rappeler ?, une baisse certaine de régime tant au niveau de la fréquence des publications que de la qualité des albums (voir en ce sens mon article de novembre 1967 : « Obscurcissement d’une ligne claire : l’éclipse Tintin »).
    M. Delon, donc (avec qui nous entretenons toujours d'excellentes relations et dont nous nous attristons de la santé actuellement précaire), prenait un risque certain en intervenant dans ce débat. Il mettait, soyons clair, sa carrière en jeu. L'affaire Marković (qui intervint un peu plus d'un an avant la publication de cet entretien) est liée – nous en avons désormais la ferme conviction – à cette défense, quoi qu'il en coûte !, de l'accoutrement de Tintin, ainsi que nous l'avons démontré dans la grande enquête du Canard sauvage en 1973 : « Rastapopoulos, Pompidou et Delon : quand la mafia yougoslave pactisait avec la société de production belge Belvision ». Ajoutons que M. Hergé lui-même a odieusement cédé aux sirènes de la modernité (alors qu'il eût seulement fallu résister pour un dernier album) en faisant passer un pantalon en jean à Tintin dans Les Picaros !
    La préférence accordée à Astérix ne peut donc, à notre humble mais toujours très-sûr avis, être rapportée à une quelconque tiédeur de l'intéressé. Au contraire ! rapprocher de Gaulle, tout juste chassé du pouvoir, de Panoramix – personnage indifférent au changement, permanent, sur le mode de l'éternel recommencement propre à la bande dessinée – c'était déjà tracer la voie du gaullisme bien aventureux qui conduira l'acteur à défendre des causes solitaires, hors des sentiers battus et des opinions de salons ; c'était pour Alain Delon, au moment où il était mis en cause dans une affaire criminelle (l'affaire Marković, donc), prendre le risque du surplus d'une défiance politique. Que cela passe par la célébration d'une bédé que la France et le monde admirait en chœur ne change rien à l'audace qu'il eut alors... Et si le monde a quelque peu oublié les houleuses intrications d'alors entre politique, littérature, cinéma et bande dessinée (qui ont fait beaucoup dans l'orientation singulière des sujets traités par Le Canard sauvage), il y a bien une chose dont on peut se réjouir, et qui n'est pas sans lien avec le propos d'A.D. : Astérix, lui, est encore là !

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