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Le recours au forum...

Suite à un très regrettable contentieux de presse, notre publication très régulière et rigoureuse passera désormais par la toile !

(Ci-dessus, M. J. Brel, lecteur assidu du Canard sauvage depuis 1947, attristé.)

Tu t'inquiètes, lecteur fidèle du Canard sauvage, et tu n'as pas tort. C'en est effectivement fini, pour un temps court, nous l'espérons, de cette éternelle page de noir, de blanc et de vert, où nous nous proposions de disserter régulièrement de cinéma, de littérature et autres trucs depuis 1916 : page rêche, odorante, à l'ancienne, prête à donner feu, infiniment plus digne que ce méchant écran auquel nous recourons désormais. 

Cher lecteur, ton désarroi n'a d'égal que ta tristesse, tu as donc besoin d'explications. 

Le papier, produit non moins merveilleux que l’impression à laquelle il sert de base, existait depuis long-temps en Chine quand, par les filières souterraines du commerce, il parvint dans l’Asie-Mineure, où, vers l’an 750, selon quelques traditions, on faisait usage d’un papier de coton broyé et réduit en bouillie. La nécessité de remplacer le parchemin, dont le prix était excessif, fit trouver, par une imitation du papier bombycien (tel fut le nom du papier de coton en Orient), le papier de chiffon, les uns disent à Bâle, en 1170, par des Grecs réfugiés ; les autres disent à Padoue, en 1301, par un Italien nommé Pax. Ainsi le papier se perfectionna lentement et obscurément ; mais il est certain que déjà sous Charles VI on fabriquait à Paris la pâte des cartes à jouer. Lorsque les immortels Faust, Coster et Guttemberg eurent inventé le Livre, des artisans, inconnus comme tant de grands artistes de cette époque, approprièrent la papeterie aux besoins de la typographie. Dans ce quinzième siècle, si vigoureux et si naïf, les noms des différents formats de papier, de même que les noms donnés aux caractères, portèrent l’empreinte de la naïveté du temps. Ainsi le Raisin, le Jésus, le Colombier, le papier Pot, l’Écu, le Coquille, le Couronne, furent ainsi nommés de la grappe, de l’image de Notre-Seigneur, de la couronne, de l’écu, du pot, enfin du filigrane marqué au milieu de la feuille, comme plus tard, sous Napoléon, on y mit un aigle : d’où le papier dit grand-aigle. De même, on appela les caractères Cicéro, Saint-Augustin, Gros-Canon, des livres de liturgie, des œuvres théologiques et des traités de Cicéron auxquels ces caractères furent d’abord employés. L’italique fut inventé par les Alde, à Venise : de là son nom. Avant l’invention du papier mécanique, dont la longueur est sans limites, les plus grands formats étaient le Grand-Jésus ou le Grand-Colombier ; encore ce dernier ne servait-il guère que pour les atlas ou pour les gravures. En effet, les dimensions du papier d’impression étaient soumises à celles des marbres de la presse. À l’époque où Séchard cherchait à résoudre le problème de la fabrication du papier à bon marché, l’existence du papier continu paraissait une chimère en France, quoique déjà Denis Robert d’Essone eût, vers 1799, inventé pour le fabriquer une machine que depuis Didot-Saint-Léger essaya de perfectionner. Le papier vélin, inventé par Ambroise Didot, ne date que de 1780. Ce rapide aperçu démontre invinciblement que toutes les grandes acquisitions de l’industrie et de l’intelligence se sont faites avec une excessive lenteur et par des agrégations inaperçues, absolument comme procède la Nature. Pour arriver à leur perfection, l’écriture, le langage peut-être !… ont eu les mêmes tâtonnements que la typographie et la papeterie.

Il se trouve donc que notre imprimeur (inventeur de génie) s'est trouvé, par un ébahissant, tonitruant et bigrement romanesque imbroglio financier, sur la paille, contraint de céder le brevet de quelqu'efficace invention, puis de nous annoncer derechef son incapacité à continuer de tirer notre gaillarde publication...

Après tout, on le sait, notre papeterie fait souventefois sauts selon l'intempérie, gambade au gré des conjonctures : voilà que l'on est sans monture ! désarçonnés. Pourtant je vous le confie net ; plutôt que disparaître nous irons sur le net.

À fort bientôt !

(Nous remercions chaleureusement M. H. de Balzac pour sa précise sapience.)

Ernest-Hilare de la Motte-Flanquin

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